• Loi littoral : préservons la mer à la campagne !

    Votée à l’unanimité en 1986, la loi « littoral » est aujourd’hui codifiée au code de l’urbanisme, en son chapitre « Aménagement et protection du littoral ». Difficilement respectée, d’une mise en œuvre retardée notamment du fait de décrets d’application tardivement publiés, mais plébiscitée par les français dans les enquêtes d'opinion qui lui sont consacrées, cette législation fait l’objet de tentatives répétées de remise en cause au Parlement.

    L'attaque dernièrement conduite à l'Assemblée Nationale par le groupe LREM démontre que la question n'est plus aujourd'hui de faire respecter la loi « littoral », mais d'en sauvegarder les fondements.
     


    TV Vendée, 4 juin 2018 (le Journal)

    L'occasion saisie est celle de la discussion du projet de loi sur l'évolution du logement (« ELAN ») présenté par le ministère de la cohésion des territoires. Ce texte vise explicitement à « construire plus et plus vite » ; il entend répondre au constat selon lequel construire du logement est un processus long et complexe, ce qui le rend rare et cher dans les grands centres urbains.

    Une série d'amendements, d’abord retoqués par la commission du développement durable, ont été réintroduits par celle des affaires économiques, ajoutant cinq articles additionnels consacrés au littoral dans un texte qui n’en traitait nullement… Leur discussion en séance plénière s'est tenue ces derniers jours.

    La médiatisation de l'affaire et une assez forte résistance des autres groupes ont contraint le gouvernement à recadrer un peu par de nouveaux amendements les évolutions projetées, tout en organisant un contre-feu médiatique qui masque la réalité de ce qui se trame : on affirme la main sur le cœur ne pas vouloir « toucher à la loi littoral » (mais on le fait très réellement...), et on dit faire un pas en arrière en omettant de préciser qu'il a été précédé de deux pas en avant.

    Rappelons au préalable que la loi « littoral » traite de trois enjeux majeurs :

    • L’extension de l’urbanisation, qui doit se faire uniquement en continuité des zones urbanisées, sur l’ensemble du territoire communal ;
    • L’extension de l’urbanisation des « espaces proches du rivage », qui doit être limitée, justifiée et motivée ;
    • L’interdiction de l’urbanisation dans la bande littorale des 100 mètres non urbanisée.

     

    Les modifications votées concernent uniquement le premier de ces sujets, ramené dans les débats à la question de la constructibilité des « dents creuses ».

    Les députés ont donné aux schémas de cohérence territoriale (SCOT) élaborés sous la responsabilité des collectivités locales l’entière responsabilité d’avoir à préciser, en fonction de particularités locales qu’ils apprécieront, les modalités d’application de ce sous-chapitre de la loi. Et c’est donc dans ce cadre que seront désormais identifiés les « villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés » à partir desquels une extension de l’urbanisation sera possible. Tout l’enjeu réside dans la possibilité ainsi donnée aux élus de contourner la jurisprudence selon laquelle l’extension de l’urbanisation ne peut être autorisée qu'à partir d’une zone caractérisée par une densité significative de constructions permettant de la qualifier d’urbaine, et certainement pas à partir d’une zone d’urbanisation diffuse.

    Le professeur Laurent Bordereau, de l'université de La Rochelle, estime ainsi que cette modification substantielle du code de l’urbanisme, permettra « de développer l’urbanisation dans des secteurs "autres que les agglomérations et villages", c’est-à-dire dans de simples hameaux (pour combler ce qu’on appelle les "dents creuses"). »

    « Cette perspective, ajoute ce juriste, change totalement l’esprit de la loi du 3 janvier 1986. Les garde-fous envisagés par les députés sont extrêmement flous et ne manqueront pas d’alimenter une jurisprudence déjà particulièrement fournie, les perceptions et les usages de l’espace littoral étant fondamentalement conflictuels. Ainsi, dans ces hameaux, les constructions projetées ne devront pas avoir "pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti". In concreto, que faudra-t-il entendre par ces dispositions ? (Le Monde, 1er juin 2018).

    Autre modification aux conséquences mal évaluées : l’autorisation possible (en dehors des espaces proches du rivage) de toutes constructions et installations « nécessaires aux activités agricoles et forestières », alors que cette disposition ne concernait précédement que des activités agricoles et forestières « incompatibles avec le voisinage des zones habitées ». Un garde-fou est certes introduit, qui prévoit l’interdiction de modifier la destination de ces constructions et installations, autrement dit de les transformer en locaux commerciaux ou d’habitation ; mais l’on sait combien le contrôle d’une telle disposition s’avère aléatoire, et rarement suivi d’effet.

    À noter qu’a été retoqué un amendement dérogatoire au principe de l’urbanisation en continuité visant à rendre possible des constructions  ou  installations  « nécessaires  à  des  équipements  collectifs ». Il en a été de même concernant « la construction ou l’installation d’équipements de production d’énergies renouvelables à partir de l’irradiation solaire ». L’installation de centrales photovoltaïques dans les communes littorales peut tout à fait s’opérer sans avoir recours à une telle dérogation, qui serait génératrice d’une consommation supplémentaire d’espaces naturels ou agricoles.

    Le Sénat aura à se pencher à son tour sur ce texte. Peut-on espérer que les nombreuses alarmes exprimées par les associations de protection de la nature autant que par des juristes éminents seront entendues, et que l’on reviendra à des dispositions protectrices de nos communes littorales conjuguant la mer et la campagne, et mieux encore : la mer à la campagne ?

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